tell me the story about your first love

« Cookie, attends ! » « Accélère ! J’vais pas t’attendre non plus. » « Maman a dit qu’on devait y aller tous les deux… J’aime pas la neige. » « Fallait pas venir, alors. » Cette année là, la neige était abondamment tombée sur la ville de San Fransisco et il ne faisait franchement pas chaud ce jour là. Le ciel était d’un gris sombre, un voile glacial qui rendait l’atmosphère encore plus étouffante, comme si Noël cette année allait être une fête de l’étouffement, plus qu’une fête sainte. Ce matin là, Elisha neuf ans et Carter huit ans venaient de se lancer à travers les rues du quartier résidentiel où ils grandissaient pour aller chercher un quelconque ingrédient chez la voisine. Quelle folie avait pu prendre Carter en le suivant ! Mais rarement les deux frères étaient séparés l’un de l’autre… ils avaient beau ne pas être totalement frères, ils étaient proches, comme si le fait de ne pas avoir le même père ne faisait que plus les rassembler, paradoxalement. Non pas que monsieur Cohen, le père de Carter, ignorait totalement l’aîné qui n’était pas son fils : il aimait leur mère, incontestablement et avec elle, il avait accepté Elisha, malgré la rapidité avec laquelle leur nouvelle famille s’était mise en place dans ce quartier chic de San Fransisco. Oui, incontestablement, elle avait trouvé un haut de la société pour reconstruire sa vie et ses deux fils n’étaient privés de rien, pas même de bonheur, bien que ce jour là, ils avaient les pieds trempés comme pas possible : mais après tout, ils ne pouvaient pas se plaindre, c’est eux qui avaient choisi. Beaucoup de gens dans le quartier craquaient sur ces deux gamins irrésistibles, aux allures sages, mais quelque peu chapardeurs… des gamins qu’on ne peut pas haïr visiblement. C’est ainsi qu’ils avaient rarement peur d’affronter le voisinage, surtout pour quelques grammes de farine. Une enfance simple, la plus simple possible pour Elisha, bien qu’il ne connaisse pas son père et que cette zone d’ombre subsiste comme ce qui pouvait sembler être un secret de famille bien gardée par madame Stanley.


« Tu veux pas en parler ? » « Pas vraiment… » « Okay… J’suis… désolée pour tout ça. J’pensais pas qu’il pourrait partir comme ça, du jour au lendemain. » « Ouais. » Il ne répondit pas plus, avalant une longue gorgée de bière. Oui à seize ans c’était dramatique d’en arriver là, mais ce soir, les choses étaient différentes. Ce matin, il n’avait trouvé aucun moyen pour retenir son frère, l’empêcher de partir il ne savait plus où. Pour dire, il était déjà à sa deuxième bière, alors au fond… la seule chose dont il se souvenait, c’était de cette impression… de vide et d’abandon qu’il ressentait depuis qu’il s’était retrouvé seul fils dans cette maison résidentielle de San Fransisco. « J’comprends pas. » Finit-il par admettre dans un soupir désespéré. Elle détourna le regard vers lui, l’observant un instant avant d’oser poser sa main sur son épaule, la serrant doucement pour lui montrer son soutien. « T’en fais pas. Il te donnera des nouvelles… » Et voilà qu’il eut un ricanement, amer. « Tu parles. » En silence, il se leva du banc, pour faire quelques pas en tournant en rond, une main dans les poches, l’autre serrée autour de sa bière. Le regard fixé sur le sol. La gorge serrée par la rancœur. « Enfin… moi j’suis là. Et j’te lâcherai pas comme ça. » Elle semblait vouloir le rassurer en tout cas. Il pinça les lèvres, haussant les épaules comme pour lui faire comprendre qu’il en avait rien à faire pour le moment, mais qu’il lui en était pourtant reconnaissant… ou qu’il lui en serait d’ici peu. S’approchant de la jeune femme, il sortit sa main de la poche pour caresser la joue de sa compagnonne de soirée. Il avait toujours eu l’habitude de passer ses soirées – du moins jusqu’à un certain âge – avec Elisha… ce soir, il profitait d’une toute autre présence. Rassurante aussi. Plus douce… mais avec ce quelque chose en moins… quelque chose qu’Elisha avait, qu’elle ne pourra jamais avoir. « Il sait pas ce qu’il perd… » Elle continuait de sourire, s’approchant de lui pour passer ses mains sur sa taille, glissant ses doigts sous son tee-shirt, sans détacher son regard de celui du jeune homme. « Merci… » Pas pour ce qu’elle venait de dire, mais pour rester là, être restée toute la soirée alors qu’il n’avait pas été la meilleure compagnie depuis des heures déjà. Rompant l’espace entre leurs lèvres, elle déposa un baiser sur sa bouche, avec une douceur qu’il faut l’avouer… Elisha n’aurait jamais pu avoir.


« Okay… Penelope, c’est ça ? » « C’est ça. Et toi ? » « Carter. » « Carter… okay. » L’espace d’un instant, ils échangèrent un regard, elle esquissa un fin sourire au coin des lèvres, avant qu’il ne se décide à se reprendre. « Ouais… alors euh. J’vais te montrer l’appartement, hein. » Des années plus tard, de ses seize ans, il était passé à vingt-trois ans… un bon paquet de chemin, qu’il avait surmonté tout seul finalement. La vie avait eu raison de la seule relation amoureuse sérieuse qu’il avait pu connaître jusque là. Et il en était là, en toute logique pathétique : à chercher une colocataire pour pouvoir payer son loyer. A la trouver sexy, attirante, mais à ne pas vouloir voir plus que ça… Ce n’était pas son genre. Tous les soirs, du moins quand il le pouvait, il sortait en boîte ou dans les bars pour chopper une fille et la ramener chez lui. Il avait abandonné ses études, il avait un boulot pourri… carton plein de la défaite il faut croire… tellement désespérant qu’il ne s’en tenait plus tant que ça rigueur. Il se contentait de vivre au jour le jour, comme le premier des abrutis un peu trop jeunes. Poussant la porte de l’appartement qu’il avait rangé dans un effort surhumain, il entra avec la jeune femme, pour une fois non pas pour l’emmener directement dans sa chambre, mais bien pour lui faire visiter son petit trois pièces, au centre ville, petit coin de presque paradis dans un quartier un peu moins chic de San Fransisco. Heureusement quand même qu’il avait trouvé le courage de quitter le cocon familial, sans quoi il n’aurait jamais pu avancer pour arriver à un semblant d’indépendance. C’est ainsi, ce jour là, il y a quelques temps déjà, qu’il a rencontré Penelope, cette jeune femme qui est aujourd’hui devenue sa colocataire, douce en apparences, plus flamboyante sous cette tête fragile. Deux jeunes gens, qui tentent de se lancer dans leur nouvelle vie… deux jeunes gens et un bébé, le fameux bébé que ‘Penny’ avait oublié de mentionner jusqu’à la signature de l’accord de location… quelle affaire ces deux là.